ESAS LÁGRIMAS SON POCAS
Les images de cette installation ont été tournées lors d’un casting d’enfants hispanophones n’ayant pas ou peu connu leur pays d’origine. Chaque enfant y interprète deux chansons de son choix, emblématiques de l’histoire des larmes dans la culture latino-américaine. À travers un dispositif en miroir convoquant deux esthétiques différentes, l’artificialité du sentiment est mis à jour dans un clin d’oeil aux enfants stars des sixties.
notes
Dans les années 60, les pays hispanophones ont vu des enfants stars devenir leurs nouvelles icônes. Ce phénomène a reçu un franc succès auprès des communautés d’immigrés, touchées par ces enfants qui reprennent le folklore de leur pays. On pourrait penser à Joselito, dont la carrière l’a conduit dans toute l’Europe; ou encore Marisol, enfant star du flamenco. Une fois les premiers succès passés, nombreux sont ceux qui sont tombés dans l’oubli.
Parmi eux, une figure a retenu mon attention. Il s’agit de Quetcy Alma, baptisée la Lloroncita (littéralement la petite pleureuse), une enfant porto-ricaine issue d’une famille d’immigrés aux Etats-Unis. Elle a commencé sa carrière à l’âge de sept ans, poussée par ses parents. Puis durant une douzaine d’années, elle a su toucher de sa voix profonde tout le continent américain. La clé de son succès réside dans son incroyable capacité à pleurer sur commande. Ainsi à chaque apparition publique, ses joues ruisselaient de larmes. Le public était à ses pieds. En très peu de temps, ce talent est devenu son fond de commerce, jusqu’à ce qu’elle décide à sa majorité de mettre brutalement fin à sa carrière.
Dans la lignée de cette tradition, j’ai organisé un casting adressé aux enfants issus de familles hispanophones vivant en France, durant lequel je propose à chaque candidat d’interpréter des chansons traditionnelles de leur pays, en poussant l’émotion à son paroxysme. Ce casting s’est déroulé en deux temps, autour de deux chansons choisies par les enfants : la première est interprétée assez spontanément, filmée d’une manière assez neutre. La seconde est clairement mise en scène, les enfants apparaîssent maquillés, habillés dans des vêtements d’une autre époque, filmés dans une lumière proche du Technicolor des années 60.
Bien qu’au premier abord, il semblerait que je cherche un jeune talent, dont l’émotion bouleverserait le public, je me suis plutôt concentré sur les failles que provoquent ce dispositif. Passer un casting est souvent vecteur de stress et chanter sans accompagnement n’est pas un exercice facile. Le fait d’orienter leur interprétation vers l’émotion et les larmes me permettait de révéler en eux une part de fragilité. Et pourtant face à ces demandes précises, ils étaient les seuls à détenir la matière même de l’œuvre. Ils pouvaient à tout moment renverser ce rapport de force et jouer avec la caméra, tels de grands tragédiens. Bien que cette installation-vidéo soit un clin d’oeil appuyé à l’âge d’or des comédies musicales hispanophones, c’est aussi un regard sur la période actuelle où l’on voit surgir sur la toile des milliers de vidéos d’enfants reprenant des standards musicaux, faisant la fierté de leurs parents. Les castings aussi sont devenus des éléments familiers du paysage médiatique. Pour preuve le succès planétaire des télé-crochets comme la Nouvelle Star ou The Voice. Cette dernière a d’ailleurs lancé une nouvelle édition spécialement dédiée aux enfants chanteurs, The Voice Kids. Le public court toujours après les performances. Plus l’interprète est ému, plus la foule se déchaîne. Alors que dire d’un enfant qui chante au bord des larmes ? Comment juger impartialement sa performance ?
Dans l’installation-vidéo, le dispositif du casting n’est pas immédiatement identifiable par le spectateur. L’équipe de tournage, tout comme le matériel technique, n’apparaît pas à l’image et aucune de leurs interventions n’est gardé au montage. Pourtant une hésitation ou un regard hors-champ peuvent trahir le dispositif. Cela est particulièrement vrai lorsque les enfants attendent en silence et se préparent à chanter. Ils prennent soudainement un air grave, l’oeil brillant, tentant d’incarner au mieux le désespoir de leur personnage. L’ensemble de ces maladresses me permettent de mettre à jour l’artificialité de l’émotion, de révéler les coulisses, de déconstruire la magie du cinéma.
Cette installation-vidéo est également née d’un fort intérêt pour les musiques traditionnelles des pays hispanophones. C’était pour moi l’occasion de faire un point sur l’héritage musical des enfants issus de familles immigrées. Je suis toujours très curieux de voir quels morceaux ont traversés les générations. Le répertoire latino-américain est particulièrement marqué par la nostalgie et le déracinement. Est-ce un sentiment encore intelligible pour un enfant n’ayant jamais connu son pays d’origine ? Peut-il encore aujourd’hui être porteur de cet héritage identitaire ?
crédits
Installation vidéo réalisée à l’occasion des expositions Coplas populares − ¡Adentro! et ¡Giro final! aux centres d’art image/imatge à Orthez et l’Atelier Estienne à Pont-Scorff.
interprètes Lila Olivares
Aziouiz Ouamer
Tatiana Avila
réalisation Nina Laisné
chef opérateur Julien Guillery
assistant opérateur Thibault Solinhac
ingénieur son Nicolas Joly
régisseur Simon Poëtte
photographe de plateau Magali Pomier
directrice de casting Cécile Druet
montage image Maud Ramier
étalonnage Jay Leroy
mixage Matthieu Autin
production Chambre 415.
avec le soutien de image/imatge
Atelier Estienne
en partenariat avec Casa Argentina de Paris
durée 12 min
format de tournage Full HD
pays de production France
année de production 2015
crédits musicaux
Caramba (O. Galindez)
Sabor a mí (Á. Carrillo)
interprétés par Lila Olivares
Cruel condena (F. Cabrejos Bermejo)
Payaso (S. Díaz Hernández)
interprétés par Aziouiz Ouamer
Nostalgias (E. Cadícamo /J. C. Cobián)
Angelitos Negros (A. Blanco / M. Á. Maciste)
interprétés par Tatiana Avila
Les images de cette installation ont été tournées lors d’un casting d’enfants hispanophones n’ayant pas ou peu connu leur pays d’origine. Chaque enfant y interprète deux chansons de son choix, emblématiques de l’histoire des larmes dans la culture latino-américaine. À travers un dispositif en miroir convoquant deux esthétiques différentes, l’artificialité du sentiment est mis à jour dans un clin d’oeil aux enfants stars des sixties.
notes
Dans les années 60, les pays hispanophones ont vu des enfants stars devenir leurs nouvelles icônes. Ce phénomène a reçu un franc succès auprès des communautés d’immigrés, touchées par ces enfants qui reprennent le folklore de leur pays. On pourrait penser à Joselito, dont la carrière l’a conduit dans toute l’Europe; ou encore Marisol, enfant star du flamenco. Une fois les premiers succès passés, nombreux sont ceux qui sont tombés dans l’oubli.
Parmi eux, une figure a retenu mon attention. Il s’agit de Quetcy Alma, baptisée la Lloroncita (littéralement la petite pleureuse), une enfant porto-ricaine issue d’une famille d’immigrés aux Etats-Unis. Elle a commencé sa carrière à l’âge de sept ans, poussée par ses parents. Puis durant une douzaine d’années, elle a su toucher de sa voix profonde tout le continent américain. La clé de son succès réside dans son incroyable capacité à pleurer sur commande. Ainsi à chaque apparition publique, ses joues ruisselaient de larmes. Le public était à ses pieds. En très peu de temps, ce talent est devenu son fond de commerce, jusqu’à ce qu’elle décide à sa majorité de mettre brutalement fin à sa carrière.
Dans la lignée de cette tradition, j’ai organisé un casting adressé aux enfants issus de familles hispanophones vivant en France, durant lequel je propose à chaque candidat d’interpréter des chansons traditionnelles de leur pays, en poussant l’émotion à son paroxysme. Ce casting s’est déroulé en deux temps, autour de deux chansons choisies par les enfants : la première est interprétée assez spontanément, filmée d’une manière assez neutre. La seconde est clairement mise en scène, les enfants apparaîssent maquillés, habillés dans des vêtements d’une autre époque, filmés dans une lumière proche du Technicolor des années 60.
Bien qu’au premier abord, il semblerait que je cherche un jeune talent, dont l’émotion bouleverserait le public, je me suis plutôt concentré sur les failles que provoquent ce dispositif. Passer un casting est souvent vecteur de stress et chanter sans accompagnement n’est pas un exercice facile. Le fait d’orienter leur interprétation vers l’émotion et les larmes me permettait de révéler en eux une part de fragilité. Et pourtant face à ces demandes précises, ils étaient les seuls à détenir la matière même de l’œuvre. Ils pouvaient à tout moment renverser ce rapport de force et jouer avec la caméra, tels de grands tragédiens. Bien que cette installation-vidéo soit un clin d’oeil appuyé à l’âge d’or des comédies musicales hispanophones, c’est aussi un regard sur la période actuelle où l’on voit surgir sur la toile des milliers de vidéos d’enfants reprenant des standards musicaux, faisant la fierté de leurs parents. Les castings aussi sont devenus des éléments familiers du paysage médiatique. Pour preuve le succès planétaire des télé-crochets comme la Nouvelle Star ou The Voice. Cette dernière a d’ailleurs lancé une nouvelle édition spécialement dédiée aux enfants chanteurs, The Voice Kids. Le public court toujours après les performances. Plus l’interprète est ému, plus la foule se déchaîne. Alors que dire d’un enfant qui chante au bord des larmes ? Comment juger impartialement sa performance ?
Dans l’installation-vidéo, le dispositif du casting n’est pas immédiatement identifiable par le spectateur. L’équipe de tournage, tout comme le matériel technique, n’apparaît pas à l’image et aucune de leurs interventions n’est gardé au montage. Pourtant une hésitation ou un regard hors-champ peuvent trahir le dispositif. Cela est particulièrement vrai lorsque les enfants attendent en silence et se préparent à chanter. Ils prennent soudainement un air grave, l’oeil brillant, tentant d’incarner au mieux le désespoir de leur personnage. L’ensemble de ces maladresses me permettent de mettre à jour l’artificialité de l’émotion, de révéler les coulisses, de déconstruire la magie du cinéma.
Cette installation-vidéo est également née d’un fort intérêt pour les musiques traditionnelles des pays hispanophones. C’était pour moi l’occasion de faire un point sur l’héritage musical des enfants issus de familles immigrées. Je suis toujours très curieux de voir quels morceaux ont traversés les générations. Le répertoire latino-américain est particulièrement marqué par la nostalgie et le déracinement. Est-ce un sentiment encore intelligible pour un enfant n’ayant jamais connu son pays d’origine ? Peut-il encore aujourd’hui être porteur de cet héritage identitaire ?
crédits
Installation vidéo réalisée à l’occasion des expositions Coplas populares − ¡Adentro! et ¡Giro final! aux centres d’art image/imatge à Orthez et l’Atelier Estienne à Pont-Scorff.
interprètes Lila Olivares
Aziouiz Ouamer
Tatiana Avila
réalisation Nina Laisné
chef opérateur Julien Guillery
assistant opérateur Thibault Solinhac
ingénieur son Nicolas Joly
régisseur Simon Poëtte
photographe de plateau Magali Pomier
directrice de casting Cécile Druet
montage image Maud Ramier
étalonnage Jay Leroy
mixage Matthieu Autin
production Chambre 415.
avec le soutien de image/imatge
Atelier Estienne
en partenariat avec Casa Argentina de Paris
durée 12 min
format de tournage Full HD
pays de production France
année de production 2015
crédits musicaux
Caramba (O. Galindez)
Sabor a mí (Á. Carrillo)
interprétés par Lila Olivares
Cruel condena (F. Cabrejos Bermejo)
Payaso (S. Díaz Hernández)
interprétés par Aziouiz Ouamer
Nostalgias (E. Cadícamo /J. C. Cobián)
Angelitos Negros (A. Blanco / M. Á. Maciste)
interprétés par Tatiana Avila
collection Frac Nouvelle-Aquitaine
extraits vidéos
expositions
2024 Primavera, primavera | exposition collective, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux, France
2017 ¡Viva Villa! | exposition collective, Cité Internationale des Arts, Paris, France
2017 Paysages en scène | exposition collective, Opéra national de Bordeaux et Frac Aquitaine, Bordeaux, France
2015 Coplas Populares – ¡Giro final! | exposition monographique, Atelier Estienne, centre d’art, Pont-Scorff, France
2015 Coplas Populares – ¡Adentro! | exposition monographique, centre d’art image/imatge, Orthez, France
© Nina Laisné